Les dérivés de la photographe est un programme d'expositions co-écrit par trois structures culturelles de la région Aquitaine : le centre d'art image/imatge, le Frac Aquitaine et les arts-au-mur artothèque. Il a vocation à faire dialoguer des collections publiques du territoire et lancer de nouvelles productions autour d'une thématique commune, dans la perspective d'inciter les publics à venir se confronter nombreux à la création contemporaine. Le point de départ de ces expositions est celui de la photographie et de ses évolutions récentes dans le champ de l'art contemporain.
Loïc Raguénès reproduit dans ses œuvres des images préexistantes, en leur appliquant une trame photomécanique dont l’origine est à chercher dans la pratique de la sérigraphie et les moyens d’imprimerie. Mais si les premières œuvres de l’artiste étaient effectivement des sérigraphies, il a rapidement abandonné cette technique et c’est à l’acrylique, à la gouache ou au crayon qu’il reproduit désormais les images qu’il trouve ou, plus exactement, qu’il choisit à cette fin : images déjà reproduites sur cartes postales, extraites de journaux ou de livres, prélevées sur internet, etc.
Bien qu’il soit ici question de dessins et de peintures, cette démarche n’en reste pas moins une entreprise de reproduction, ce que souligne la trame photomécanique que l’artiste applique aux images et duplique manuellement. C’est en ce sens que l’exposition de Loïc Raguénès proposée par le centre d’art image/imatge constitue l’un des trois volets du cycle d’expositions Les dérivés de la photographie, élaboré avec le Frac Aquitaine et l’Artothèque de Pessac.
De cette méthode de travail de l’artiste résulte une ambivalence profonde des représentations qu’il nous donne à voir. Celles-ci — images peintes d’un porte conteneurs ou de nageuses synchronisées par exemple, ainsi qu’on peut les voir dans l’exposition de l’artiste à image/imatge — paraissent saisies entre leur fabrication, leur construction que révèle la trame visuelle, et leur dégradation ou leur dissolution du fait de la discontinuité de la matière de l’image et de la dimension abstraite qu’introduit la même trame. Cette ambivalence est peut-être le lieu réel du travail de Loïc Raguénès : elle dit la complexité des images, leur indécision, leur oscillation entre le décoratif et le signifiant, la prudence qu’il faudrait avoir à leur lecture. À l’ère de la reproductibilité mécanique et numérique des images, en produire par les moyens manuels de la peinture ou du dessin, c’est d’ailleurs une manière de s’accorder de la lenteur, de prendre de la distance dans leur appréhension. Mais si les images choisies par l’artiste, des images déjà reproduites et appartenant à la sphère publique des médias, peuvent être le support d’une anthropologie visuelle du présent, ce n’est pas l’analyse critique qu’implique cette approche qui est le point de départ du travail de Loïc Raguénès.
Se demandant quelles images peuvent devenir des tableaux, et comment elles le peuvent, l’artiste est guidé dans ses choix par une interrogation qui revient donc à chercher dans les images — photographiques en particulier — la possibilité de leur existence sous des formes et avec un statut qui diffèrent de leurs conditions initiales de visibilité. Dans ce passage de l’image trouvée au tableau, un processus d’appropriation entre en jeu. Mais davantage qu’avec l’appropriationnisme des années 1970-1980 ou les démarches d’artistes iconographes des dernières décennies, avec lesquelles son travail n’est pourtant pas sans lien, c’est plus encore en regard des enjeux de la photographie et de la peinture en tant que médiums que le travail de Loïc Raguénès peut être appréhendé.
Jérôme Dupeyrat, critique d’art
Loïc Raguénès est né en 1968. il vit et travaille à Douarnenez. Il est représenté par la galerie CLEARING.