Issues de sources multiples, les images qui composent les collages, vidéos ou installations de Manon Recordon semblent revenir de lointaines civilisations, puiser dans des légendes et des mythes, mêler la culture savante et populaire, l’actualité pressente, l’intime ou le sublime. Mon beau souci pourrait ainsi s’apparenter à une déambulation labyrinthique dans le "musée imaginaire" de l’artiste, un jeu narratif construit avec la souplesse que caractérise l'ère numérique, et où le sens nait entre les images.
Entrer dans ce lieu, c’est d’abord voir l’espace au dessus de nos têtes, c’est comme si le cinéma d’autrefois nous revenait dans les yeux. L’exposition que nous avons conçue se lit dans un premier temps comme un plan large — au sens cinématographique, comme on regarderait le célèbre plan du vaste escalier montant aux Musées du Capitole dans Nostalghia (Andreï Tarkovski - 1983). Un oiseau en vol percevrait, dans les croisements que les pans tracent au sol, le dessin d’une toile d’araignée ou d’un labyrinthe. Parcourir Mon beau souci, c’est entrer à l’intérieur d’un montage constitué d’images fixes et mouvantes, de cimaises-retables dressées sur le sol accueillant plusieurs récits. On est peu à peu introduit, comme par palier ; une image en appelle une autre, puis une autre encore. Ce qui se narre se construit par récurrences, telle une mise en abyme dans l’architecture de l’exposition. Passé le seuil, les images viennent éclorent à notre visage et elles sont nombreuses. Mon beau souci, c’est aussi un film et une photographie — ce sont des translations dans ces divers ordres du langage. L’image s’affirme tel un topos que j’affranchis de son histoire. Les figures subissent un remodelage et une réactualisation sans fin, devenant les fantômes qui hantent chaque image produite. Medusa apparaît trois fois, parmi lesquelles un tondo de Benoît Maire, réalisé en 2011. Je l’ai emprunté au Frac Aquitaine lorsque l’occasion s’est présentée de créer un dialogue avec le travail d’un artiste contemporain. Marie-Madeleine est une autre échappée du ret des récurrences, tout comme la mer Méditerranée ou encore Saint Denis, qui ne trouve d’écho qu’au sein de sa propre vitrine. Certaines pièces fonctionnent sur l’ambivalence de leur contenu : celui-ci dépend de qui l’écoute et le regarde, de comment sont fractionnées les strates. Je pense notamment à la vidéo Sans soleil, où se mêlent curieusement la publicité, l’antiquité, l’immigration, le plaisir etc… Mon beau souci est une exposition à multiples lectures dans laquelle les différents points de vue s’harmonisent dans des percées. Les échos résonnent de la sorte, par strates et par retour de boomerang ; personne n’y verra la même chose, mais chacun y décèlera une histoire à faire sienne dans la matière des histoires.
Manon Recordon
Née à Paris en 1985, Manon Recordon est diplômée de la Villa Arson et de l’École nationale supérieure des Beaux-arts de Paris, elle a été pensionnaire de l’Académie de France à Rome - Villa Médicis en 2012/2013.
L’exposition Mon beau souci est réalisée avec l’aide exceptionnelle de la DRAC Nouvelle-Aquitaine et en collaboration avec le FRAC Aquitaine, pour le prêt de l’œuvre de Benoît Maire Tirésias Ouverte (Le jeu), 2007.